Rencontre avec Jean-Pierre Bidet, journaliste sportif au journal français L'EQUIPE
En fait, j'avais plusieurs passions, plusieurs pistes pour plus tard et c'est celle-ci qui a marché tout de suite. J'ai passé plusieurs concours dans différentes branches et celui que j'ai eu en premier, c'était celui d'une Ecole de Journalisme. Sinon, j'ai des souvenirs des Jeux olympiques de Munich, j'avais 6 ans. Mais les vrais souvenirs, c'est les JO de Montréal, donc en 76. Et en plus, j'aimais bien écrire!
Oui, je m'en souviens. J'ai commencé dans un service qui s'appelle le "secrétariat de rédaction", ce sont les gens qui font les maquettes des pages, qui reçoivent les textes, les maquettent, et choisissent les images. Là, je me suis occupé de la rubrique triathlon, un petit sport qui montait un peu et que personne ne suivait. Ça m'a permis d'écrire, de montrer un peu ce que je pouvais faire. Le premier article de cyclisme que j'ai fait, c'était une présentation d'une course belge qui s'appelle le Het Volk, une classique belge. Et dès la première année, j'ai fait le Tour de France, j'étais là depuis un mois et j'ai fait Milan-San Remo, c'était parti quoi !
Plus maintenant. J'ai fait ça pendant 8 ans, donc un travail de reporter comme font la majorité des gens ici. Depuis 2 ans, je ne suis plus sur le terrain mais en revanche, je peux faire des reportages sur des choses ponctuelles, aller voir un coureur quelque part pour faire une interview, et s'il y a besoin d'une personne en plus sur une course, je peux y aller et suivre.
Et non ! Depuis deux ans, je m'occupe du dopage, c'est mon travail. L'année dernière, j'ai par exemple suivi le procès Cofidis qui était une affaire de dopage dans une équipe française.
Ça fait deux ans que je ne vais plus trop sur le terrain pour suivre les courses mais avant ça, j'ai suivi le cycliste américain Lance Armstrong pendant 6 ans, sur les six des sept Tours de France qu'il a gagnés. J'avais des relations privilégiées avec lui pour l'approcher et lui parler. Donc, j'ai fait mon travail pendant 6 ans en écrivant des choses « agréables » quand il fallait, des choses moins agréables quand il me semblait que c'était moins agréable. Et puis, on a sorti un scoop énorme en août 2005 sur lui et le dopage. Ça ne m'a pas empêché d'écrire des papiers critiques sur lui. Il faut toujours garder une distance. Moi, je n'ai aucun problème pour ça. Ici, on essaye de ne rien s'interdire. D'ailleurs, on ne s'interdit rien !
En fait, le dopage est là depuis toujours, il n'est pas apparu dans le sport il y a 10 ans, comme ça, par miracle. Avant, évidemment, on savait qu'il y avait du dopage. Mais dans la presse, on ne peut pas écrire des choses sans les prouver, sinon on va au tribunal. A partir du moment où il y a eu des enquêtes et que la police s'est mise sur le coup, on s'est aperçu de l'ampleur. Maintenant, le dopage fait partie de l'actualité, au même titre que les courses et les coureurs. C'est devenu quelque chose de banal pour nous.
A chaque fois qu'on trouve, c'est un tricheur de moins, donc ce n'est pas une mauvaise nouvelle. Pour nous, il n'y a pas une actualité heureuse ou une actualité malheureuse. Il y a du dopage dans le sport, il y a du dopage dans le cyclisme, c'est une actualité, il faut qu'on la traite, voilà. Evidemment, dans l'absolu, on préférerait parler des exploits des gens et n'avoir aucun doute sur les grandes victoires et des choses comme ça. Mais on vit avec cette réalité là, donc on l'accepte et on la traite comme telle.
Le dopage fait partie du sport, que ce soit le vélo ou autre. La seule différence, c'est que dans le vélo il y a une culture plus ancienne et plus forte. A la différence d'autres sports, on trouve du dopage dans le vélo parce qu'on le cherche. Je ne dis pas que dans d'autres sports on ne cherche pas, mais on cherche certainement moins - et moins bien.
Une dizaine de journalistes - qui suivent le cyclisme toute l'année, même pendant l'hiver. On a la particularité d'être un sport qui a un hiver assez long où les évènements s'arrêtent. Pendant cette période, on est vraiment en hibernation. En plus de ces dix personnes, on a deux chauffeurs parce qu'on suit les courses en voiture. C'est ce qui permet au journaliste sur place de bien se concentrer sur son boulot et de ne pas avoir lui même à conduire, aller d'un point à un autre, d'un hôtel à un autre. On est donc douze permanents.
En fait, les motos ne sont pas faites pour les journalistes qui écrivent mais pour les photographes. Je pense qu'il y a environ une vingtaine de photographes pour le journal.
Non, mais on a le droit par exemple de dire qu'on trouve inhumain de faires des étapes avec huit ou neuf cols dans la même journée, que ça peut être une incitation à la tricherie. On peut critiquer des choses quand il y a des choix qui nous semblent un peu aller à l'encontre du sport et de la santé des coureurs, pour des problèmes de sécurité, pour des choses comme ça, mais sinon à chacun son métier.
S'il tombe malade, nous sommes des êtres humains comme les autres: il se soigne et rentre chez lui. Mais notre métier n'est pas tous les jours facile. Il faut savoir que quand on fait le Tour de France, on part une semaine avant le départ, ensuite on fait 3 semaines de courses, c'est-à-dire que pendant 3 semaines, on fait des kilomètres et des kilomètres, on se lève tôt, on se couche tard.
Non, quand même, on a la chance d'avoir ici, à l'Equipe, des conditions de travail très bonnes mais c'est assez dur. Donc souvent, on est physiquement las, des fois on est aussi un peu fatigué par la course, par l'actualité qui n'est pas toujours très heureuse ou très excitante par rapport à la course. Malheureusement, il faut remplir le journal tous les jours et c'est l'actualité qui décide, pas nous. Et on doit se plier à elle, donc il y a des jours biens, il y a des jours moins biens mais on prend sur nous et on repart ! On combat le lendemain !