Il y a parfois des soirées magiques...
Une interview avec la chanteuse française
Corinne Douarre
Corinne Douarre est venue au Grand méchant loup avec un pot de "gueules de loup" (des fleurs ! pas des vraies gueules de loup) qui se trouvent maintenant plantées dans notre jardin. Elle nous a parlé du métier de chanteur mais aussi de l'Allemagne et de Berlin.
Voici les thèmes que tu pourras trouver :
6. Les chansons qu'on écoute >>>
Photos : © Grand méchant loup | Böser Wolf
Vous chantez depuis combien de temps ?
J'ai commencé à chanter en 1996, et depuis 1997 je fais ça professionnellement. Mais je chantais déjà quand j'étais toute petite, beaucoup.
Et pourquoi vous aviez arrêté ?
Quand j'étais petite, on me faisait chanter partout et puis un jour, je me suis aperçue que j'avais grandi et que j'avais peur de chanter devant tout le monde. Et j'ai arrêté de chanter pendant quinze, vingt ans. C'est revenu à 27 ans. Parce que la chanson, ça a toujours été ma grande passion.
Vous aviez une idole ?
Oui, à l'adolescence, c'était Jacques Higelin, après j'en ai eu beaucoup, j'ai beaucoup écouté Barbara et puis aussi des chansons anciennes.
Depuis quand écrivez-vous des textes de chansons ?
La première, j'ai dû la faire en 1995. J'avais écrit beaucoup de
poèmes mais je ne les avais pas mis en musique.
Qu'est-ce qui vous inspire ?
Berlin et tout ce qui est près de moi. Et ce qui m'inspire aussi,
ce sont des expressions qu'on entend, j'ai une chanson
sur une question des serveurs de café « Zusammen
oder getrennt? », qui est pour moi une question qui va plus
loin que l'addition, et encore d'autres.
Vous écrivez surtout en allemand ?
Non, le français étant ma langue natale, j'écris plus en français, c'est plus facile pour moi. À propos d'expressions, j'ai écrit par exemple sur celle des adolescents en France « être à l'ouest ». J'suis à l'ouest, t'es complètement à l'ouest... J'en ai fait une chanson sur quelqu'un qui est sur un quai de gare et qui ne sait pas où va sa vie.
Vous mettez combien de temps pour écrire une chanson ?
Ça dépend complètement de la chanson et de l'inspiration. Des fois je sais très bien sur quoi je veux écrire et ça va très vite, et des fois ça me prend trois ans pour y arriver. Des fois j'ai aucune idée, mais ça va très vite et c'est bien. Il y a la mise en musique aussi. Je commence souvent par le texte et ça peut arrriver que je ne trouve pas la musique. J'ai beaucoup de brouillons aussi. C'est comme un jardin : tu vois il y a les graines que tu plantes et parfois ça prend du temps pour pousser. Moi, j'ai besoin de temps.
Quand il se passe quelque chose de beau dans votre vie, est-ce que vous écrivez une chanson là-dessus ?
C'est une question très intéressante. Je ne fais pas partie des gens qui ont besoin de souffrir pour écrire. Moi quand je souffre, je ne peux pas écrire. Je peux juste accumuler des idées et des brouillons, et quand je vais bien, je les transformer en chanson. De même, cela arrive que lorsqu'il se passe quelque chose de super positif, ça me donne l'impulsion pour écrire une chanson sur quelque chose de beau ou d'optimiste.
Vous avez toujours du papier sur vous ?
Tout le temps, tout le temps. J'ai mon petit carnet avec moi. Quand j'ai une idée que je trouve meilleure que les autres, je la mets de côté, je fais des dessins, des croquis.
Vous aimez écrire en rimes ?
C'est une super question par rapport au franco-allemand. Ce qui me libère un peu en Allemagne, c'est que la rime n'est pas si nécessaire que ça dans les chansons, c'est une autre forme d'écriture. En France, on est très très soucieux de la rime. Dans la chanson Zusammen oder getrennt, j'énumère des choses qui ne riment pas du tout et c'était super. C 'était la première fois de ma vie et ça laisse une grande liberté. Mais la rime, c'est quand même beau, quand tu arrives à faire un beau poème qui rime bien.
Gute Zeiten, schlechte Zeiten
C'est une série télévisée très
populaire en Allemagne.
Vous donnez beaucoup de concerts ?
Ça dépend des années. C'est parfois très imprévisible. Cette année, je pense qu'il y en aura une quarantaine. Je compte aussi les concerts privés. Quand on ne vit que de ses concerts, ce n'est peut-être pas suffisant, donc il faut faire des choses à côté.
Vous donnez aussi des concerts en France ?
Oui aussi. Par exemple en juin, il y a une fête franco-alllemande à la maison de l'Europe à Paris. Et il y a beaucoup de monde. Je peux parler et chanter dans
les deux langues, ça fait plaisir aux gens d'entendre l'allemand aussi.
C'est comment d'être sur scène, vous êtes plutôt stressée ?
Dans la journée, je ne peux rien faire d'autre que penser au concert, plus le concert approche et plus Marc au keyboard, Corinne et Dirk à la guitare ->
j'ai envie de dormir, c'est horrible. Je rêve d'aller me
coucher et de ne voir personne, mais plus l'heure approche et plus l'adrénaline monte, donc je me réveille, et j'essaie de me préparer avec joie au concert. Et une fois que je suis sur scène, ça va. J'ai des musiciens très relax par contre. C'est très reposant.
Vous avez toujours les mêmes musiciens ?
Je travaille avec Marc Haussmann qui est au keyboard, au piano et il fait aussi tous les sons électroniques. On travaille ensemble depuis 2001 déjà, il est Allemand, et avec Dirk Homuth à la guitare depuis 2003. On est donc une petite équipe bien solide, on se comprend à demi mot. Il y a beaucoup de complicité.
Vous partagez la scène avec les musiciens ?
J'adore ça. C'est plus intéressant et plus riche musicalement, mais je suis en train de préparer des concerts solo parce que ces dernières années je ne jouais plus d'instruments, j'ai besoin de me réapproprier mes chansons. C'est difficile de tourner tout seul, je le faisais beaucoup au début, je m'accompagnais à l'accordéon,
et là, c'est difficile car tu es responsable de tout : le contact avec les gens, la musique... Tout repose sur toi.
Est-ce qu'il y a des concerts qui ne marchent pas très bien ?
Il y a toujours des concerts catastrophe où rien ne va, autant sur scène que dans le public, tu n'es peut-être pas le groupe que le public attend. Une fois, on est passés après des jeunes filles habillées en mère Noël. Ils étaient environ vingt dans le public et parlaient très très fort. Ou une fois on est arrivés et on nous a montré la technique : la technique, c'était une prise de courant ! Mais il y a aussi de très beaux concerts et je préfère parler de ceux-là où tout va bien, dès la première chanson. Où j'ai l'impression de dire ce qu'il faut entre les chansons, je peux improviser. Il y a parfois des soirées magiques où tu n'as pas envie d'arrêter le concert.
On trouve vos CDs dans les magasins ?
Oui, ou alors tu peux les commander par Internet. Le dernier album est sorti l'année dernière. Les six premiers mois après sa sortie, c'est facile de le trouver dans les bacs. Après, il faut le commander. Si tu n'as pas vendu tes CDs au bout de six mois, ils te les renvoient, à tes frais en plus. Eh oui, le monde de la musique a de grandes dents. J'ai eu de la chance, tous les albums présentés ont été vendus.
C'est difficile de vivre des CDs ?
C'est difficile, même des gens connus ne vivent pas de leurs albums.
Peut-être les très grands groupes. Il faut avoir des concerts. Ce qui
rapporte de l'argent, c'est quand des chansons passent à la télé, par
exemple dans l'émission Gute Zeiten, schlechte Zeiten, à chaque fois que
la chanson passe à la télé je touche de l'argent pour les droits d'auteur
parce que c'est moi qui écrit les chansons. A la radio, c'est pareil. Sinon
la musique c'est beaucoup d'investissement, il faut quand même le dire.
Qu'est-ce que ça veut dire exactement ?
Quand j'ai voulu faire de la chanson, je n'avais pas compris qu'on devient sa petite entreprise, ça veut dire qu'on a des clients, qu'il faut marchander avec eux le prix des concerts, il faut les convaincre. Après tu rentres dans un truc commercial, il faut vendre les albums…
C'était quoi votre premier album et quand est-ce qu'il est sorti ?
Il s'appelait Le train de onze heures. Il est sorti en 2000. C'était une petite édition avec tout un livre de dessins et de photos.
Qu'est-ce que vous faites en dehors des concerts ?
Je fais des ateliers chansons pour les adolescents, je monte des projets avec eux pour qu'ils écrivent leurs chansons et qu'ils puissent les monter sur scène après, avec des thèmes souvent d'ailleurs liés à la Seconde guerre mondiale pour qu'ils réfléchissent un peu là-dessus. J'écris une fois par mois pour un journal français sur la chanson qui s'appelle Le doigt dans l'œil. J'ai une rubrique berlinoise, je peux écrire ce que je veux sur Berlin, je parle de la chanson et de la ville. Parfois j'enregistre des voix pour des films ou la radio. J'aime bien composer de la musique pour des films ou des reportages. Je fais aussi des pièces radiophoniques. Je donne aussi des concerts dans des maisons de retraite, pour les personnes âgées.
On vous a déjà reconnue dans la rue ?
Je ne suis pas Brad Pitt, mais ça arrive, parce que je suis Française et chanteuse à Berlin. L'autre jour, je me promenais à vélo le long du Mauerpark et il y avait deux personnes qui me faisaient bonjour de la main, je ne savais pas qui c'était mais j'ai répondu gentiment bonjour, et au feu rouge ils m'ont dit : vous, vous ne nous connaissez pas, mais nous, on vous a vue pendant un concert. Et ils sont partis avec leur super bagnole et moi j'ai continué sur mon vélo. Voilà, des fois, ça se passe comme ça.
J'ai une question que j'aimerais vous poser : Est-ce qu'il y a une chanson qui vous tient particulièrement à cœur ?
Emilia : On écoute souvent des groupes.
À votre âge, les chansons commençaient à me parler et parfois je découvrais vraiment des choses par les chansons. Tu vois, il y avait des sujets politiques qui avant ne m'intéressaient pas du tout et tout d'un coup, il y avait un chanteur qui l'abordait, et je me disais oui, il a raison. Ça m'a donné envie de lire des trucs, d'aller voir des films.
David : J'écoute des chansons en anglais
et en fait, je ne comprends pas les textes. Pendant l'interview : nos avis sur la musique ->
Les chansons françaises ou allemandes, ce n'est pas mon truc.
Clara : Moi ça dépend si je vais bien ou pas. Parfois j'ai besoin de chansons plus fortes et parfois de chansons qui consolent, plus tristes. J'écoute surtout des chansons en anglais, mais la musique en allemand, c'est bien aussi parce qu'on comprend les textes alors on n'a pas besoin de réfléchir. Parfois la musique n'est pas si bonne mais les textes sont bien. Et vous ?
Je me rends compte que les gens que j'ai écoutés à l'adolescence, je les ai oubliés pendant un moment mais maintenant je les réécoute, je sais pourquoi je les ai tant aimés. Barbara par exemple, à chaque fois que je l'écoute, je pleure. Il y a des chansons qui m'émeuvent à tel point.
Pourquoi vous chantez en Allemagne ?
Depuis que je suis petite, mon père me parle de l'Allemagne, il y a toujours eu un intérêt pour l'Allemagne dans ma famille. Mon père a été envoyé dans un camp de travail pendant la guerre. Là, il a développé des amitiés avec des Allemands et il les a gardées.
Il aimait l'Allemagne ?
Il voulait toujours que je parle allemand. Après sa mort en 1991, j'ai vraiment eu besoin de découvrir l'Allemagne, de comprendre pourquoi il aimait tant l'Allemagne. Ça m'a amenée à faire des études à Stuttgart, je faisais de l'architecture à l'époque, après j'ai découvert Berlin.
Et Berlin, ça vous a plu ?
Ça a été un gros coup de foudre. C'est une ville qui parle du passé, où tu sens très très fort l'histoire de la guerre. Le Mur venait de tomber, donc toute l'histoire de la RDA était encore présente, je trouvais que c'était comme un livre d'histoire ouvert. C'était une ville en pleine effervescence, ouverte au futur, j'ai donc craqué complètement sur cette ville. En plus je viens de Paris, c'est très joli mais je n'aime pas trop y vivre, c'est étroit, c'est stressant, c'est cher. Et quand je suis venue à Berlin, j'ai commencé avec la musique. Et ici, ça a été très vite, j'ai rencontré plein d'artistes qui m'ont beaucoup aidée à m'intégrer dans le monde de la chanson, à m'adapter, ils m'ont très vite accueillie.
Vous pensez rester en Allemagne ?
Oui, oui, j'ai essayé de repartir l'année dernière, mais ça n'a pas marché.
Pourquoi vous vouliez partir ?
J'avais un peu l'impression que ma vie à Berlin, c'était une phase, et que si un jour je devais partir, c'était là. Quand tu vis longtemps à l'étranger, tu te refais des amis, et des cercles professionnels nouveaux. En France, professionnellement, j'ai tout à faire, et je me disais que si je voulais chanter plus en France, il fallait que je sois sur place pour trouver des concerts plus facilement. Et finalement je suis allée deux, trois mois vivre à Paris, mais j'étais épuisée, ce n'était pas bien du tout la vie à Paris.
Vos amis en France et votre famille vous manquent ?
Bien sûr. Mais mes amis peuvent venir me voir à Berlin et j'essaie d'avoir quelques concerts en France. Je suis loin de ma famille, mais ça fait tellement de temps que je suis là, que Berlin c'est mon chez moi aussi. Je m'y sens bien et je n'ai pas envie de partir.
Vous connaissiez Berlin à l'époque du Mur ?
Non, c'est mon grand regret. Et mon deuxième regret, c'est de ne pas avoir compris quand il est tombé combien c'était important. C'était nul. Je faisais de l'architecture à l'époque et il y a un mec qui est rentré en courant dans les ateliers en criant : « Le Mur est tombé ! » et nous, on était à la bourre pour rendre nos trucs et on était complètement concentrés sur notre travail et il disait : « Arrêtez tout, le Mur est tombé. Je prends tout de suite un billet de train et pourquoi vous restez là ! » Et je n'ai pas tilté. Je suis restée à Paris à faire des dessins, et ce n'est que quelque temps après que j'ai réalisé...
<- Un bout du Mur après l'ouverture des frontières
Les différents CDs de Corinne Douarre :
Premier CD : Virage
CD actuel : Ciel XXL
Label : www.kook-label.de
Distribution : www.brokensilence.biz
Artwork : www.dragonworks.de
Interview: Alina, Anastasia, Clara, David, Emilia und Sidney
Photos concert : Anastasia
Texte & Photos: © Grand méchant loup eEducation Masterplan Projekt
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