Il y a eu une baisse d’effectif spectaculaire en 1914
Une interview des Grands méchants loups avec Bernhard Frank, directeur de l'administration allemande du Lycée Français de Berlin
Avant la guerre | Pendant la guerre | Après la guerre
Avant la guerre
Depuis quand le Lycée Français existe-t-il ?
Qui mettait ses enfants au lycée il y a 100 ans ?
A cette époque, la langue de la diplomatie était le français. Donc d’apprendre le français offrait déjà un avantage aux enfants de diplomates. Mais je ne crois pas que les familles pensaient en ce terme d’avantage. C’était un établissement pour enfants de la bourgeoisie cultivée. Ils y apprenaient surtout la langue des milieux cultivés.
Il y avait aussi des familles juives qui ont opté pour le Lycée Français vu son caractère international. Elles s’y sentaient plus à l’aise que dans un établissement simplement allemand.
En 1914, il y avait encore à Berlin des familles allemandes aux origines huguenotes. Ces familles avaient pour tradition de mettre leurs enfants au Lycée Français. C’était un peu leur identité qu’ils gardaient à travers cet enseignement.
Et puis il y a eu quelques élèves de familles françaises installées à Berlin, mais en très petit nombre. C’était un lycée très très allemand.
C’était un lycée privé ?
Non, c’était un lycée public qui s’appelait le « Königliches Französisches Gymnasium », ce qui signifie le Lycée royal français.
Est-ce que c’était un lycée mixte et est-ce qu’il y avait des femmes qui enseignaient ?
Il n’y avait aucune femme enseignante, mais il y avait de temps en temps des filles à titre exceptionnel. Il n’est devenu mixte qu’après la guerre, pas avant.
Est-ce que tous les cours étaient en français ?
Une partie, donc beaucoup moins qu’aujourd’hui. Les mathématiques et l’enseignement scientifique se faisaient en allemand parce qu’il était très difficile de trouver des professeurs sachant enseigner ces matières en français. Mais les matières littéraires, comprenant aussi le latin et le grec, avaient une importance beaucoup plus grande à cette époque. Ces matières étaient enseignées en français.
On passait déjà le Baccalauréat au Lycée Français?
Non, pas du tout. On ne passait que l'Abitur (donc le bac allemand) mais on le passait en français. Le baccalauréat, à la différence de l’Abitur, est un examen universitaire, c'est à dire avec lequel on peut entrer à l'université. On le prépare en allant ou pas à l’école, on se présente à l'examen en tant que candidat libre. Ce n'est donc pas un examen scolaire, alors que l'Abitur est un diplôme de fin de scolarité des élèves d’un lycée.
1914-1918
Combien y avait-il d’élèves en 1914 ?
Il y a eu une baisse d’effectif spectaculaire en 1914, il ne restait plus que 134 élèves, et en 1915 encore moins, mais on n’a pas de statistiques. Les statistiques redémarrent en 1921 où on note 160 élèves, 300 en 1932… Mais il faut s’imaginer qu’en 1885 il y avait 450 élèves.
Est-ce qu’une partie des cours a continué à être en français ?
La veille de la Première Guerre mondiale, le ministère de l’Education a conseillé d’abandonner le français. Il y a donc eu un nouveau débat au sein de l’établissement. Le directeur - qui allait partir à la retraite - se méfiant de son ministère, a tout fait pour faire nommer à la direction du Lycée Français le professeur Esternau, un Allemand d’origine huguenote. C'est grâce à lui que le français a pu être gardé comme langue d’enseignement dans cet établissement.
Est-ce que beaucoup de professeurs sont partis à la guerre ?
Non, parce que les enseignants avaient tous un âge très vénérable. Le problème étant plutôt de recruter des jeunes.
Est-ce que l’ambiance au lycée a vraiment changée au début de la guerre ?
Probablement. La vague de patriotisme du début s’est transformée en nationalisme aigu et cela s’est bien ressenti au Lycée Français. Voici une anecdote :
Toutes les semaines, la communauté scolaire qui n’était pas extrêmement nombreuse devait se réunir pour prier le Bon Dieu d’aider à punir l’ennemi héréditaire, la France. Et le nouveau directeur, Monsieur Esternau, qui avait donc entre autres été nommé dans cet établissement pour sauver le français, a insisté pour que cette prière contre les Français se fasse en français. Donc ces jeunes Allemands - qui avaient la haine des Français - manifestaient cette haine en langue française. C’est du moins ce que l’on raconte.
Et puis au Lycée Français on ne ratait pas une occasion de fêter la Prusse et l’Allemagne : on célébrait l’anniversaire de l’Empereur, le grand discours en l'honneur de la dynastie des Hohenzollern était tenu évidemment en français. Et « sa Majesté » avait une grande sympathie pour cet établissement, parfois il donnait des décorations aux professeurs. Et lors des baisses d’effectifs au cours de l’Histoire, la survie du Lycée a aussi été due à la sympathie des rois ou des empereurs qui voulaient respecter la volonté du fondateur de l’établissement, le Grand Electeur.
Est-ce que le lycée a subi des dégradations au cours de la guerre ?
Non. Mais c’est le cas pour l’Allemagne entière. Les Allemands n'ont pas compris pourquoi ils ont perdu la guerre. Les destructions ont eu lieu en Belgique, dans le nord et l'est de la France. L'Allemagne n'a pas connu de destruction.
Les élèves observaient les cartes d'état-major affichées dans les kiosques montrant l'avancée - et parfois le recul - des troupes allemandes. Mais ils voyaient toujours l'Allemagne intacte. Encore la veille de l'Armistice, la propagande continuait à annoncer une victoire imminente.
Que s’est-il passé à l’armistice ?
Rien.
Après 1918
Est-ce qu’il y a eu, au niveau des élèves, des changements après la guerre ?
Oui, le nombre d'élèves juifs a augmenté.
Et puis, au début des années 1920, il y a eu beaucoup de nouveaux élèves venant de l’ancien lycée voisin, le Wilhelmsgymnasium qui venait de fermer. C’était un des lycées de la noblesse prussienne, les élèves venaient de familles de gros propriétaires terriens. Donc, le lycée a été fermé au début de la République - donc après la guerre - car il était considéré comme réactionnaire. L’intégration de ses fils de nobles a été assez difficile. Le français n’était pas un obstacle car les jeunes du Wilhelmsgymnasium avaient suivi de très bons cours de français. Ils étaient frustrés parce qu’on avait fermé leur établissement. Les élèves du Lycée Français venaient d’un milieu assez méfiant et critique envers la noblesse. Donc il y avait là une autre sensibilité, une différence d’accents politiques.
Interview : Julia, Leopold, Rebekka et Ulysse (Rédaction Grand méchant loup)
Dessins : Anissa, Ingrid et Jeanne (Rédaction Grand méchant loup)
Photos : Lycée Français de Berlin
© Grand méchant loup | Böser Wolf
Avril 2014