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La diplomatie, c'est comme dans une famille :

il faut être accommodant

   Une interview des jeunes reporters du Grand méchant loup avec l’Ambassadeur de France en Allemagne, Maurice Gourdault-Montagne

 

 

 

 

Le français et l'allemand >>>

Le travail >>>

Le Traité de l’Élysée >>>

Pour finir >>>

 

 

 

 

Le français et l'allemand

Quand vous étiez enfant, vous vouliez déjà devenir ambassadeur ?
Quand j’étais petit, j’aimais beaucoup rencontrer et écouter des gens qui étaient différents de moi. J'ai eu la vraie révélation des Allemands à 15 ans. C'est un âge où l'on s'exprime librement et là, j'ai découvert qu'on apprenait beaucoup sur soi-même en rencontrant des gens différents. Etudiant, je suis allé à Fribourg, et j'ai rencontré des étudiants d'un peu partout. C’est là où je me suis dit que je serai peut-être diplomate. Parce que dans cette vie de diplomate, on apprend avec le regard des autres à savoir qui on est, et à essayer de donner le meilleur de soi-même.

Depuis quand parlez-vous allemand ?
Depuis la sixième. J'appartenais à une famille où l'on parlait allemand. On avait fait la guerre contre les Allemands, mon père avait été prisonnier de guerre, mes deux grands-pères avaient fait la guerre de 1914-1918, mais on admirait l'Allemagne tout de même. On respectait la culture allemande parce que c'était la philosophie, la littérature, la musique. D'une certaine mesure, l'Allemagne était un pays ennemi, mais c'était un peu une partie de nous-mêmes. Donc mon père m'a dit : « Tu vas apprendre l'allemand parce que c'est important.». Et j'ai pris goût à l'allemand.


Et maintenant, vous pensez que c'est important d'apprendre l'allemand ?
Maintenant, on est dans une relation de partenariat, d'amitié, de construction de l'Europe, donc il faut savoir l'allemand encore plus que jamais.


Vous avez dit que vous aimiez rencontrer des gens différents. Mais qu'est-ce que vous appelez différent ? La culture, la personnalité ?
La personnalité d'abord. On est tous différents les uns des autres. Donc il faut accepter que les autres soient différents. Mais j'aime bien la dimension culturelle. Les Allemands sont très différents de nous. Par leur mode de vie, par les régions dans lesquelles ils vivent, par le climat, les modes alimentaires. Les Allemands eux-mêmes d'ailleurs sont différents les uns par rapport aux autres. Quand vous êtes en Bavière, ce n'est pas la même chose que quand vous êtes à Hambourg. Dans le Bade-Wurtemberg, ce n'est pas comme dans le Brandebourg.

 

 

Allez dans une boulangerie allemande, regardez, il y a trois cents sortes de pain. Nous, on a trois cents fromages, voilà les différences. Donc, on se connaît et on se complète. Les différences amènent à trouver chez les autres les choses qu'on n'a pas soi-même. Et après ça, j'ai étendu cet intérêt pour des gens différents en apprenant des langues indiennes, en allant en Inde comme étudiant, et ensuite, en passant le concours des Affaires étrangères.


Combien de langues savez-vous parler ?
Ça m'amuse d'apprendre des langues, donc je parle des langues européennes comme l'allemand, l'anglais, l'italien, l'espagnol. J'ai passé des diplômes de hindi et d'ourdou, j'ai fait longtemps du russe aussi, j'ai été longtemps au Japon, donc j'ai appris un peu le japonais.

 

Le travail


En quoi consiste votre travail ?


On peut dire que mon travail comprend quatre dimensions :
- L'ambassadeur représente son pays, donc on représente le Président de la République qui vous a nommé, le gouvernement - c'est-à-dire tous les ministres - et les intérêts de son pays.
- L'ambassadeur est chargé de s'occuper et de protéger les Français. Dans certains pays plus que dans d'autres. Ici, en Allemagne, il n'y a pas de problèmes.
- L'ambassadeur négocie aussi. Il a comme mission de trouver des partenaires avec lesquels on essaie de trouver un accord sur une coopération, culturelle, industrielle, économique ou politique.
- La dernière mission, c'est l'information : L'ambassadeur informe sur ce qui se passe dans le pays et informe sur ce qui se passe dans son propre pays. Moi, on m'interroge souvent sur la France, sur l'Europe : quelles sont vos idées, où en sont les débats. Et pareil à Paris. On me demande : qu'est-ce que pense la chancelière allemande ? Qu'est-ce que pense le gouvernement allemand ?

Vous faites ça tout seul dans votre bureau ?
Là aussi, je travaille avec une équipe qui est nombreuse, dans tous les domaines de l'activité de l'Etat.  Je vois beaucoup de monde différent. Je les rencontre, je leur parle, je les écoute.


Comment se déroule une journée type ?

En général, je commence par un petit déjeuner. Aujourd'hui par exemple, j'ai eu un petit déjeuner avec le groupe ThyssenKrupp, qui fabrique de l'acier parce qu'en France, on a des problèmes avec nos fabricants d'acier. Ensuite, j'ai fait une réunion avec les chefs des différents services de l’ambassade pour faire le point de nos activités.


Vous faites surtout de la politique ?
Non, je vais par exemple aller visiter une exposition où il y a des œuvres de Français ou bien à un endroit où l'on va préparer une exposition française, donc je vais discuter avec le directeur du musée et là j'emmène, les gens de mon équipe.

Je peux aussi rencontrer les sociétés franco-allemandes qui se chargent de promouvoir le français. Ce sont des gens qui, après la guerre, ont dit: Tiens, on va essayer de connaître mieux la culture de l’autre. Il y en a 250 dans toute l'Allemagne, je vois les gens, ils m'expliquent leurs difficultés etc.


Mon métier, c'est d'essayer de rapprocher les points de vue des Français et des Allemands, et d’essayer d'être plus forts ensemble. Je vais aller au ministère des Affaires étrangères ou au ministère de la Défense parler d'une coopération sur les questions d'armement par exemple. Il faut trouver des compromis, c’est-à-dire qu'il faut parfois accepter de renoncer à telle chose, et les autres acceptent de renoncer à telle chose, comme cela on se met d'accord.
On est obligé de s'entendre, c'est cela la diplomatie. C'est comme dans une famille, il faut être accommodant et trouver le bon accord.


Est-ce qu’on a une opinion personnelle quand on est ambassadeur ?
En principe non. J'ai une opinion personnelle mais je représente l'Etat français, le gouvernement français, et donc je ne peux pas exprimer une opinion personnelle.


Avec qui êtes-vous en relation au gouvernement ?
A l’ambassade, on est en relation avec tout le monde : Avec l'Elysée, et avec l'entourage de l'Elysée. Quand le Président de la République vient ici, il me fait monter dans sa voiture et je lui dis quelle est la situation. Evidemment, le Président a déjà beaucoup travaillé avant, il sait déjà tout, mais il veut le dernier éclairage. Ensuite, il y a le Premier ministre qui rencontre des gens du domaine de l'industrie et du domaine économique, et qui verra la Chancelière. Donc, on est en contact avec chacun des membres du gouvernement et aussi avec tous les milieux économiques à Paris.


Vous avez été ambassadeur à Tokyo et Londres, est-ce que vous pensez qu’il y a des relations plus fortes entre certains états ?
Oui. D'abord il y a la proximité. On a toujours des relations très, très fortes avec les pays qui vous entourent. Des relations souvent plus compliquées, plus denses. Parce qu'il y a plus de gens qui franchissent la frontière, parce qu'il y a des coopérations économiques qui sont plus fortes. On a des intérêts plus importants et souvent, on a un passé plus lourd avec les voisins. Parce que très souvent on leur a fait la guerre. Et ça, ça pèse dans l'inconscient : on se souvient qu'on a fait la guerre aux voisins.

Encore maintenant ?
Aujourd'hui on est passé à une autre époque. L'Europe, c'est un espace de paix, de liberté. La relation qui a remplacé ces relations de conflit, c'est une relation très dense. Le Japon, c'est beaucoup plus loin. Ce qui se passe au Japon tous les jours intéresse moins la France. Néanmoins, le Japon, c'est une des grandes puissances économiques du monde, donc: comment peut-on intéresser les Japonais à la France ? Les relations avec les pays voisins sont en général les plus passionnantes, et parfois les plus compliquées.

Le Traité de l’Élysée


Vous étiez enfant quand le Traité de l’Elysée a été signé, vous en avez un souvenir ?

Pour te dire la vérité, pas vraiment. Je ne comprenais pas la portée des choses mais j’avais compris qu’il se passait des choses importantes. Je savais que le Général de Gaulle était venu en Allemagne, je savais qu’Adenauer était venu en France. Il y a des choses qui avaient beaucoup fait parler parce que c’était quand même moins de 20 ans après la guerre. C’était absolument incroyable de voir les Allemands, leur serrer la main, les embrasser alors qu’on était dans les souvenirs de choses terribles. Il fallait beaucoup de courage et je dirais du culot, pour oser faire ça : oser aller serrer la main du chancelier allemand au nom de la France et réciproquement.

Le Traité de l’Elysée ça représente quoi pour vous ?
Ça représente quelque chose de tout à fait unique. Il n’y a pas d’exemple de deux pays qui se sont autant battus, autant détestés et qui ont réussi, sur la base de cette histoire, à la surmonter et à créer la paix, la stabilité, un espace de liberté, un espace économique. Deux pays où on a une frontière qui était la source de toutes nos guerres et de nos conflits. On passe la frontière sans s’en rendre compte et ça, c’est quelque chose de tout à fait unique.

Comment est-ce qu’on y est arrivé ?

Après la guerre, il y a eu des gens qui ont dit, maintenant on arrête de se battre avec les Allemands, ça fait trois fois en moins d’un siècle, ça suffit. Il y a eu assez de morts, assez de misère comme ça.

Ça s’est passé d’abord au niveau des communes, ce sont les citoyens et les citoyennes qui se sont rencontrés. C’est les échanges. Nous sommes les deux pays qui avons le plus de jumelages dans le monde. On a entre 2000 et 2500 jumelages de communes.


Au bout de 15 ans, le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer ont dit, il y a une base. Il y a des citoyens qui veulent qu’on conclue ça une bonne fois pour toute. On va faire un accord entre les états, un traité d’amitié. Le mot amitié, ça nous paraît normal. Mais parler d’un traité d’amitié, à l’époque, c’était quelque chose d’incroyable. Le traité d’amitié franco-allemand !


Donc on a créé un cadre et ce cadre est pour moi la base de l’Union européenne. La Communauté Economique Européenne avait été créée en 1957. Mais là, ça lui donnait toute sa force, la force franco-allemande. On dit toujours que les relations franco-allemandes, c’est l’épine dorsale de l’Europe, das "Rückgrat" en allemand. Si ça ne marche pas entre Franco-allemands, le reste ne suit pas.

Pourquoi ?

Nos partenaires disent, si les Français et les Allemands qui sont si différents se mettent d’accord, ça veut dire qu’on peut se mettre d’accord. On va regarder ce qu’ils ont fait et on va suivre.


Ça fait déjà 50 ans que le Traité a été signé, est-ce que vous ne pensez pas qu’il faudrait changer des choses pour faire un traité plus actuel ?
Le Président de la République, Monsieur Hollande, a dit, qu’il y avait peut-être deux dimensions qu’il faudrait repréciser. D’une part, la dimension culturelle : qu’est-ce qui intéresse les jeunes chez le voisin, est-ce qu’on peut encourager ça ? L’OFAJ a déjà fait un travail formidable. Il y a 12 millions de jeunes Français et d’Allemands qui ont fait des échanges ! C’est très important. Mais ne peut-on pas améliorer encore ? Il y a l’université franco-allemande, mais est-ce qu’on ne peut pas faire mieux pour les apprentis ? Donc est-ce qu’on ne peut pas faire mieux en termes de formation professionnelle ? Ça c’est le premier point.


Deuxièmement, l’Europe. A l’époque où on a fait le traité, l’Europe démarrait puisqu’elle était née en 1957. Elle comprenait à l’époque 6 pays, bientôt, nous serons à 28 avec les Croates. Aujourd’hui, est-ce que le Traité ne doit pas prendre en compte de manière plus concrète la réalité européenne ? Est-ce qu’on ne doit pas plus inscrire cette relation franco-allemande dans une Europe qui grandit, qui s’épanouit ?
Don, il faut adapter le Traité, le moderniser. Il faudrait que ça se fasse avec le plus d’échanges possible, entre les communes, entre celles qui ont déjà des échanges, celles qui n’en ont pas. Comme vous faites avec votre rédaction, essayer de motiver les gens qui n’ont aucune idée que ça existe.

Qu’on s’en rende compte, voilà mon souhait le plus cher.

Qu’est-ce que vous aimeriez faire pour fêter les 50 ans du Traité de l’Elysée ?
On va faire beaucoup de choses, des cérémonies, des choses officielles. Le Président de la République va venir ici avec tout le gouvernement français pour un conseil des ministres franco-allemand. Et puis, on va avoir quelque chose d’exceptionnel qu’on n’a jamais fait. On va recevoir ici à Berlin tout le Parlement, toute l’Assemblée Nationale va venir, 577 députés qui vont être reçus au Bundestag avec leurs collègues. Et là ils

vont faire une session de travail conjointe avec une déclaration du Parlement français et du Parlement allemand ensemble.
Il y aura des cérémonies, un concert, des choses qu’on fait habituellement pour fêter quand on est entre amis, boire un coup etc. Mais c’est très important sur le plan de la portée politique pour tous nos voisins, pour l’Europe, pour tous les autres qui vont nous regarder.


Pourquoi ?
Imaginez, vous avez encore des pays dans le monde qui n’ont pas signé de traité de paix depuis 1945. Regardez le Japon et la Russie, ils n’ont toujours pas de traité de paix, regardez les relations entre le Japon et la Chine, ils se sont battus après la guerre et n’ont pas de traité de paix, regardez la Syrie et le Liban. Tous ces pays regardent la relation franco-allemande et ils se disent comment est-ce que vous avez fait ?



L’amitié franco-allemande c’est quelque chose de vraiment spécial pour vous ?
Je pense qu’il faut toujours se rappeler qu’on revient de très très loin. Je vais vous raconter une anecdote. Quand j’avais 17 ans, j’ai dit à ma grand-mère, je vais venir avec un copain allemand. Ma grand-mère avait été infirmière pendant la guerre de 14 pendant 4 ans. Elle était volontaire, donc bénévole, dans une gare à Paris où arrivaient les blessés du front. Elle triait les blessés, on n’avait pas les moyens d’opérer tout le monde. Donc elle avait vu la misère de la guerre chez les soldats. Ces soldats, ça pouvait être son frère, son oncle ou son père qui arrivaient. Dans la famille, on respectait la culture allemande mais on n’aimait pas trop voir les Allemands. Ma grand-mère m’aimait bien, elle ne pouvait pas dire non, donc elle me dit, d’accord amène ton Allemand. Je viens avec mon copain et on a dîné. Elle a été très sympa avec lui. Ça s’est très bien passé. Après elle m’a dit : tu sais, si on m’avait dit qu’un jour mon petit-fils amènerait un Allemand dîner chez moi, je ne l’aurais jamais cru. Voilà d’où on vient. C’est pour ça que pour moi la relation franco-allemande, c’est quelque chose d’extrêmement précieux. Aujourd’hui je pense, heureusement que nous avons des Franco-allemands. Ce sont eux qui portent la relation franco-allemande. Le franco-allemand c’est fondamental, sans le franco-allemand, il n'y a pas de stabilité. Donc on est obligé de s’entendre.


Pour finir

 

A votre avis, quelle sera la prochaine étape de la construction européenne ?
Ce sera l’union politique. On a aujourd’hui la crise financière, la crise budgétaire, la « crise de l’euro ». On a pris des mesures pour apporter la discipline budgétaire. Ce n’est pas suffisant. Après l’union budgétaire, c’est l’union sociale, et puis un jour on arrivera à l’union politique. Comment est-ce qu’on va pouvoir arriver à avoir une direction européenne qui fait que c’est l’Europe en tant que telle qui pèsera et pas non plus la France ou l’Allemagne toute seule. Il faut aller encore plus loin dans l’intégration européenne. Et moi j’y crois. C’est une affaire qui va se jouer dans les cinq, dix années qui viennent. Au moment où vous allez devenir des adultes, où vous aurez terminé vos études, vous aurez des responsabilités à prendre. Vous serez dans un autre contexte et c’est intéressant. Vous avez une chance formidable.

 

 

Ça vous gêne parfois d’être ambassadeur ? Vous n’aimeriez pas avoir une vie un peu plus privée ?
C’est vrai que les journées sont très, très remplies. Mais un jour, je ne serai plus ambassadeur donc je ferai d’autres choses. C’est une grande chance, c’est un grand honneur d’être ambassadeur. C’est une grosse responsabilité et c’est un métier passionnant, il faut s’y donner à fond. On n’a pas beaucoup de temps pour soi, je n’ai presque jamais de week-ends pour moi. Nos amis allemands aiment beaucoup organiser des manifestations le week-end, des réunions, des discussions, des fêtes. Je suis très souvent pris, invité et j’y vais car c’est la France qui est à l’honneur.

 

 

Interview : Chloé, Emil, Emmanuelle & Ulysse

Dessins : Alina, Anastasia, David, Emmanuelle et Jean-Victor

Texte, dessins et photos : © Grand méchant loup - Octobre 2012